De l’Occident : Régis Debray – 2014
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Jorge Semprun (10 décembre 1923 à Madrid/7 juin 2011 à Paris) était issu d’une famille bourgeoise catholique et républicaine. Il commence des études de philosophie à la Sorbonne alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage (1942) ; ses activités militantes lui vaudront d’être arrêté par la Gestapo puis d’être déporté au camp de Buchenwald, expérience qui le marquera, ainsi que son œuvre, à tout jamais.
Bien que le retour à une vie « normale » s’avère difficile il se lance alors dans une abondante création littéraire et s’engage en politique ; il sera notamment ministre de la Culture de 1988 à 1991 dans le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez.
Jorge Semprun est l’auteur de nombreux romans, récits autobiographiques, pièces de théâtre et scénarii qui lui ont valu de nombreux prix et récompenses (prix Femina, élection à l’Académie Goncourt, prix Ulysse pour l’ensemble de son œuvre, etc.)
Voici quelques extraits du texte de présentation prononcé par Hélé Béji lors de sa venue le 12 juillet 2004.
Votre œuvre est une autobiographie politique, mais jamais par l’idéologie, par le parti pris, alors que vous avez été un homme très engagé, d’abord la résistance au fascisme (vous avez été déporté) puis l’engagement communiste, puis la participation à la démocratie espagnole naissante avec Felipe Gonzalez.
Ce qui me paraît au centre de ce témoignage est l’expérience vécue du mal, avec toutes les ambivalences, les contradictions, les multiples identités, avec cette conviction que le langage (peu importe la langue, dites-vous, « la patrie de l’écrivain n’est pas la langue, mais le langage »), et vous écrivez indifféremment en français et en espagnol) le travail littéraire de la mémoire, c’est l’approfondissement symbolique des faits en destin (…)
Vous subissez l’histoire — ce n’est pas vous qui avez voulu la guerre civile, l’exil, la déportation, la désillusion communiste — tout cela vous tombe dessus, vous ne vous soumettez pas au mal, mais vous le vivez jusqu’au bout, au sens où vous le traversez, vous y participez, vous n’êtes pas une victime passive du mal dans l’histoire, vous en êtes aussi un acteur à la fois involontaire et souverain.
Il n’y a aucun propos moralisateur dans vos livres (…) Vous « n’idéologisez » pas le malheur, pour parler comme Baudrillard, vous n’en escomptez pas de bénéfices secondaires, vous n’en faites pas une monnaie d’échange. Il n’y a aucun pathos du malheur chez vous, à contre-courant de toute l’actualité entièrement saturée par la conscience victimaire, où chacun passe son temps à demander au monde des dommages et intérêts, où chacun veut se construire une identité de victime sur le préjudice, la réparation, le ressentiment, le procès. On est à une époque où même les bourreaux aujourd’hui ont une conscience de victime, le terroriste par ex. porte à son point d’incandescence sa logique victimaire, et l’antiterrorisme aussi.
La victimisation, qui est devenue chez nos contemporains une obsession jubilatoire, est inconnue de vous, vous n’en faites à l’humanité aucun chantage, vous ne demandez jamais de compte aux autres, seulement à vous-même.
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