De l’Occident : Régis Debray – 2014
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Alain de Libera, né en 1948, est un professeur de philosophie français, spécialiste en histoire médiévale. Depuis 1985 il est directeur d’études à l’École pratique des hautes études où il enseigne l’histoire des théologies chrétiennes dans l’Occident médiéval.
Il dirige, aux éditions Vrin, la collection hic et non et codirige la collection études de philosophie médiévale.
Par ailleurs, il s’est illustré lors d’une violente polémique (2008) qui l’opposa à Sylvain Gouguenheim, auteur de Aristote au mont Saint-Michel, ouvrage de vulgarisation qui entendait modérer l’apport du monde musulman dans la transmission à l’Occident médiéval de l’héritage culturel grec antique au profit des Syriaques (chrétiens orientaux).
Voici quelques extraits du texte inaugural prononcé par Hélé Béji lors de sa venue le 20 février 2003.
Je suis née avec un immense privilège, celui d’être née ici dans ce lieu. Les privilèges sont toujours les fruits du hasard, de la fortune, et il ne faut jamais s’en enorgueillir.
— Néanmoins, il ne faut pas les mépriser. L’idée qui consiste à dire qu’il faut se dépouiller de ses privilèges pour atteindre l’égalité me semble fausse, et hypocrite.
Il me paraît plus raisonnable au contraire de magnifier nos privilèges en y ramenant les autres, en en faisant eux aussi des privilégiés, en accroissant le nombre des privilégiés.
L’égalité ne consiste pas à abolir les privilèges, mais à les universaliser. Un privilège ne se divise pas, il se multiplie.
— Mais il ne faut pas y voir un geste de philanthropie, ou d’humanitarisme quelconque. Pour dire vrai, c’est par égoïsme que je le fais, cet égoïsme de l’intellect que Alain de Libéra appelle « l’égoïsme philosophique », ou encore « l’égoïsme vertueux des philosophes » c’est-à-dire celui de pouvoir jouir encore plus avec d’autres du privilège de la pensée, « le droit philosophique » à l’égoïsme lié aux choses de l’esprit.
Donc, transformer nos privilèges de naissance en privilège collectif ou collégial de la pensée.
Ainsi lorsque ma grand-mère priait (…) j’avais l’impression qu’elle jouait au fantôme sous un vieux drap, et c’était l’étoffe métaphysique dans laquelle je taillais la forme de mes songeries profanes. Ce n’était pas une ouverture sur une vie future, mais un dévoilement de celle-ci.
En d’autres termes, la piété de ma grand-mère excitait mon penchant philosophailleur (George Sand), au lieu de le brider.
Et c’est exactement le danger que les théologiens chrétiens du M.A. avaient pointé dans l’arabisme, chez les arabistes de l’université et hors de l’université, le danger que la philosophie pouvait proposer une vie bienheureuse sur terre, le danger de la félicité philosophique qui se suffit à elle-même.
Et c’est cette mutation qu’Alain de Libéra éclaire pour nous d’une manière tout à fait nouvelle et impressionnante c’est-à-dire, déjà au Moyen-âge, non plus la pensée au service de la religion, comme dans la théologie, mais la religion au service de la philosophie, pour parler schématiquement.
La dernière chose qui je voudrais dire à propos de cette temporalité de l’ancien comme figure du nouveau, est que les esprits vraiment modernes ne sont pas des modernistes à tout crin.
Tous, la vie moderne nous excite et nous exalte, mais nous ne serions pas dignes d’elles si nous ne savions pas la regarder. Et comment la regarder, d’où la regarder, si ce n’est par cette petite porte dérobée qu’est le voyage dans le temps, ce temps antérieur qui est en chacun de nous dont Proust avait saisi toute l’importance dans sa parabole du temps perdu et retrouvé, quand les besoins les plus reculés de l’âme surgissent en avant et non pas en arrière, comme si le revenir pouvait aussi être une forme du devenir ?
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