A la recherche de la civilité – 2004

 

Conférenciers:

  • Marc Augé
  • Emna Bel Haj Yahia
  • Aïcha Ben Abed
  • Tahar Ben Guiza
  • Jean-Marie Borzeix
  • Alain Finkielkraut
  • Marc Guillaume
  • Jean Hannoyer
  • Claude Imbert
  • François Jullien
  • Philippe Raynaud
  • Hamadi Redissi
  • Alain-Gérard Slama
  • Khalil Zamiti

civilité

Voici quelques extraits du texte de Hélé Béji sur le thème du séminaire :

« A la recherche de la civilité »

« Qu’est-ce que la civilité ? Est-ce un art, un savoir, une politique ou une philosophie, ou bien est-ce tout cela à la fois ? La civilité n’est-elle pas ce ciment mystérieux où les relations humaines, parce que nécessairement conflictuelles, sauvegardent un sens de mesure, de sagesse, et de bonté qui est à la source de toute vie sociale, de tout comportement humain, et de la possibilité même d’un monde commun ?

                Issue de la culture, la civilité n’est pas la culture, elle en est pour ainsi dire la finalité, la forme quotidienne, l’aboutissement politique, et elle se situe au croisement de la vie morale et de la vie sociale. Elle en incarne en quelque sorte une subtile synthèse. La civilité est ce qui règle profondément le comportement humain dans une société donnée, afin que soit sauvegardée l’atmosphère d’amitié anonyme et de bienveillance spontanée entre les hommes. La civilité n’exclut pas les conflits, mais les présuppose au contraire, et cultive l’art de les déjouer et de les exprimer, sans pour autant en briser l’énergie, mais en en écartant la violence et l’agressivité.

                La civilité est un langage où chacun accepte de faire valoir l’autre et de briller par cet acte d’humilité. La civilité, qu’il ne faut pas confondre avec la politesse, rejoint cette noblesse de cœur où chacun, quel que soit son rang, sa condition, son origine ou son degré d’instruction, est appelé à témoigner de son savoir-vivre et de son intérêt à l’égard du prochain, au-delà des inégalités sociales ou professionnelles. La civilité est la forme instinctive, non juridique, que la vie en société donne à l’égalité. Elle opère un nivellement supérieur du comportement social dont le code n’est jamais vécu comme une contrainte, mais comme un mouvement vers l’autre, une nécessité intérieure.

                La civilité n’est pas un droit, mais un devoir. En devenant civils, les hommes deviennent tous redevables les uns vis-à-vis des autres, et cette obligeance universelle accroît leurs facultés de sociabilité. Aucune loi, aucune contrainte juridique ne peut suppléer au travail de la civilité dans l’équilibre des relations humaines. Les lois de la civilité restent non écrites, elles ne peuvent se confondre avec des prescriptions juridiques, sous peine de se figer dans un conformisme dogmatique qui leur ôterait toute spontanéité, toute séduction et toute humanité. La civilité est au-delà du juridique, elle ne relève pas non plus des droits de l’homme, dont les principes politiques régissent la citoyenneté, mais non la civilité. Celle-ci est d’un autre ordre ; elle est très profondément ce sens et cette considération d’autrui sans lesquels aucun lien social durable ne peut se fonder, et cette poésie des gestes collectifs dont l’harmonie se fond dans l’usage.

                De grandes menaces pèsent, dans le monde moderne, sur la civilité. L’incivilité y est beaucoup plus répandue, hélas, que la civilité, et elle gagne les mœurs d’une manière inquiétante. On parle beaucoup d’incivilité, dans le sens assez réduit d’insécurité, témoignant par là de la perte du sens profond de la civilité, dont la disparition progressive de la scène sociale est le symptôme même de la déshumanisation.

                La Tunisie est un lieu historique de haute civilité, dont la présence est encore très vivante dans tous les domaines de la vie familiale, professionnelle, publique. La représentation traditionnelle est encore très forte dans la mémoire du quotidien, et la modernité tunisienne, même dans ses formes les plus évoluées, en conserve profondément l’empreinte. La civilité tunisienne, aussi bien dans son urbanité que dans sa ruralité, prenant très profondément sa source dans la conscience culturelle, a été le meilleur garde-fou contre la violence politique et le fanatisme. Cette action quotidienne de la civilité est ressentie par les Tunisiens comme une richesse naturelle de leurs mœurs, elle est vécue comme une expression spontanée de leur être, alors qu’elle est en fait le fruit d’une sédimentation invisible, d’une histoire archéologique, religieuse, culturelle, politique, où s’est constituée sa vertu originale, et comme un trésor déposé par le temps au pied de son humanité.

                 Ce propos n’est qu’une modeste esquisse du thème de la civilité. Mais toutes sortes d’approches sont possibles, en particulier à travers les questions telles que celle, très controversée, du « dialogue des cultures », les rapports de la civilité à la civilisation, au droit, à la mémoire, à l’autre, au développement, à la tradition, les menaces qui détruisent de plus en plus, dans le monde moderne, les pratiques et les usages de la civilité, etc.

                Cette rencontre se déroulera au Collège international de Tunis, dans une demeure traditionnelle de la Médina, périmètre urbain particulièrement voué à la défense et à l’illustration de la civilité. Elle durera deux jours. La formule choisie sera, plutôt que le colloque, laconversation, terme plus approprié pour désigner la forme intellectuelle la plus accomplie et la plus représentative de la civilité. »

                                                                                                                             Hélé Béji, décembre 2004

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